Balado d’information sur la santé au Canada

La santé mentale des enfants et des jeunes au Canada

Episode Summary

La pandémie de COVID-19 chamboule la vie des Canadiens depuis le printemps 2020. Les enfants et les jeunes ont été parmi les plus touchés. Dans cet épisode du BISC, notre animatrice, Alya Niang, s’entretient avec le Dr Nicholas Chadi, pédiatre et clinicien-chercheur spécialisé en médecine de l'adolescence et toxicomanie au CHU Sainte-Justine et professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal. Ils discutent des efforts des experts en santé mentale pour lutter contre les effets de la pandémie sur nos jeunes. Cet épisode est disponible en français seulement.

Episode Transcription

Cet épisode discute le suicide et les blessures auto-infligées et peut être bouleversant pour certains auditeurs. Vous pouvez obtenir de l’aide en tout temps en appelant le 911 ou votre centre local d’interventions d’urgence. Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Institut canadien d’information sur la santé. 

 

Alya Niang

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Ici Alya Niang et je suis ravie de vous retrouver pour le deuxième épisode de l’Institut canadien d’information sur la santé, mieux connu sous le nom de l’ICIS. Nous allons examiner de plus près les systèmes et les politiques de soins de santé du Canada en allant au-delà des données et en parlant à des experts, à des travailleurs de la santé et à des patients. Nous discuterons également des efforts déployés pour maintenir les Canadiens en bonne santé. 

 

Dans l’émission d’aujourd’hui, nous nous penchons sur les effets de la pandémie sur les enfants et les jeunes. S’il est vrai que les enfants ont moins de risques de tomber malades à cause du coronavirus lui-même, les données nous montrent que les facteurs de stress associés à la pandémie, comme la fermeture des écoles, l’isolement ou encore l’absence des rencontres familiales et entre amis, ont eu des effets néfastes sur la santé mentale des enfants et des jeunes. Nous regarderons les chiffres et comment ces perturbations ont affecté les enfants, leurs parents ainsi que le système de santé, si ces perturbations sont justes temporaires ou s’il y a des moyens de redresser la situation. Je suis en compagnie du Dr Nicholas Chadi, pédiatre et clinicien chercheur. 

 

Dr Nicholas Chadi

Je suis donc pédiatre et clinicien chercheur spécialisé en médecine de l’adolescence et en toxicomanie. Je travaille au CHU Sainte-Justine depuis maintenant trois ans dans ce rôle. En clinique, je me spécialise vraiment dans les soins apportés aux adolescents pour différentes problématiques de santé mentale, entre autres les troubles alimentaires, la diversité de genre, les différents enjeux dépressifs ou anxieux au niveau de la toxicomanie. Donc, mes intérêts de recherche vont vraiment tourner autour de ces questions et j’ai été très sollicité dans le cadre de la pandémie Covid-19, avec une grande augmentation des demandes de consultation à notre service au CHU Sainte-Justine, puis j’ai profité aussi de cette occasion pour me pencher sur certaines questions reliées à la santé, la santé mentale des adolescents. 

 

Alya Niang

Bonjour, Dr Chadi. Vous allez bien?

 

Dr Nicholas Chadi

Oui, merci. 

 

Alya Niang

Alors, nous abordons un sujet assez sensible et difficile. Avant d’entrer en matière, permettez-moi de vous raconter une anecdote personnelle. J’ai eu un bébé en début de pandémie, alors que j’avais planifié de passer mon congé de maternité à l’extérieur du pays pour avoir plus d’aide avec la famille et du coup je me retrouve bloquée et coupée du monde, avec un nouveau-né. Nous savons que c’est un moment où nous avons besoin d’être entourés. C’était une période assez difficile que j’ai dû traverser pendant six mois, mais ma capacité de raisonnement et d’accepter certaines situations en tant qu’adulte m’ont aidée à surmonter cette épreuve. Donc, juste pour dire que je ne peux imaginer, l’état d’esprit des enfants n’ayant pas encore atteint ces capacités, comment la pandémie a pu les affecter. Cela devait être vraiment difficile. Venons-en au fait, Dr Chadi.

Une analyse récente de l’ICIS montre que la pandémie a grandement affecté la santé mentale des enfants et des jeunes et que les hospitalisations et les visites aux urgences ont considérablement augmenté. Comment cela se fait-il? 

 

Dr Nicholas Chadi

Bien, en fait, vous amenez une question qui est très large. On le sait, tant pour les adultes que pour les enfants, les adolescents, la pandémie, ç’a été un énorme changement, un grand traumatisme pour certains. Ce qu’on a vu au tout début de la pandémie, c’est en fait que les gens sont beaucoup restés à la maison, sont restés seuls et ils n’ont pas nécessairement fait utilisation des services hospitaliers des urgences puis qu’après quelques mois de confinement, il y a vraiment eu une explosion du nombre de visites à l’urgence pour la santé mentale. Je pense qu’il y a plusieurs facteurs qui pourraient nous aider à expliquer ça. Les enfants, les adolescents reçoivent beaucoup de soutien, beaucoup de support à l’école, puis la socialisation, les contacts avec les pairs, les activités parascolaires sont tellement, tellement importantes pour le maintien d’une bonne santé mentale puis d’un bon équilibre et, tout ça, ç’a été complètement bouleversé avec la pandémie. On rajoute à ça le stress qui a été imposé aux familles, l’incertitude, la peur peut-être d’avoir la maladie, le stress de vivre à travers la maladie d’un parent, d’un être cher et tout ça, puis la présence médiatique des mauvaises nouvelles, qui a pu être très anxiogène pour beaucoup de gens. 

Donc, toutes ces choses ensemble, avec vraiment des changements au niveau des habitudes de vie, ont pu faire en sorte qu’il y a eu une augmentation de la détresse. Il y a aussi eu plusieurs moyens qui sont normalement là pour aider à soutenir les jeunes qui n’étaient plus disponibles. Par exemple, on parle des éducateurs, des travailleurs sociaux, des psychologues dans les écoles qui n’étaient plus aussi disponibles ou qui l’étaient de façon différente. Donc, les hôpitaux, les urgences devenaient un lieu privilégié, puis dès fois la seule place où les gens, les parents, les jeunes pouvaient se présenter pour recevoir de l’aide. Donc, on pense probablement qu’il y a plusieurs facteurs qui font en sorte que la période pandémique a mené à cette augmentation des visites aux urgences, mais, entre autres, le fait que les services ont été très affectés par la pandémie. 

 

Alya Niang

Donc, vous direz que les changements liés à l’école ont été un facteur majeur?

 

Dr Nicholas Chadi

Mais certainement. Il y a des enfants qui ressentent un stress avec l’école. Donc, le fait de ne pas être à l’école a pu être vu comme un soulagement initialement, mais je peux vous partager que dans ma pratique comme pédiatre, c’était très rare que les jeunes me disaient, après avoir fait plusieurs mois de confinement ou d’école à la maison, qu’ils voulaient que ça continue. La plupart des jeunes me disaient : mais non, j’ai besoin de ça, j’ai besoin de voir mes amis. C’est très difficile de maintenir une routine, puis une hygiène de vie quand on est à la maison. Il y avait beaucoup de parents qui devaient jongler avec le travail, l’éducation des enfants, s’occuper des enfants, ce qui faisait que le milieu familial, surtout si on est dans des logements petits où il y a beaucoup de gens qui sont à la maison, par exemple, pouvait devenir assez difficile puis même, dès fois, propice pour amener des difficultés au niveau de la santé mentale. 

On peut rajouter aussi à ça le temps passé derrière les écrans. On a vu que beaucoup, beaucoup d’enfants, d’adolescents qui ont changé un petit peu leur utilisation des médias, oui pour socialiser, pour garder contact avec leurs amis, pour avoir accès à leurs cours à l’école, mais aussi pour faire l’utilisation de certains médiaux sociaux, certains jeux vidéo qui pourraient, en consommation trop grande, avoir des effets plutôt négatifs, plutôt néfastes sur la santé, sur le bien-être en général. 

 

Alya Niang

La même analyse montre que les visites aux urgences et les hospitalisations en raison de troubles alimentaires ont augmenté en 2020 et, en particulier, chez les jeunes femmes âgées de 10 à 17 ans. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette augmentation? 

 

Dr Nicholas Chadi

Tout à fait. Je peux vous dire que j’étais aux premières loges de cette augmentation, étant moi-même pédiatre spécialisé en médecine d’adolescence qui travaille sur l’unité de troubles de conduite alimentaire au CHU Sainte-Justine. On a vu des taux d’hospitalisation qui ont doublé et triplé pendant la pandémie, puis on pense qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ça. Entre autres, comme je le mentionnais plus tôt, le fait de passer beaucoup de temps sur les médiaux sociaux, ça peut amener beaucoup de réflexion, mais aussi beaucoup de comparaison avec d’autres jeunes. Ça peut véhiculer des idéaux de perfection au niveau de l’image corporelle, au niveau de la beauté, au niveau de la minceur, qui a pu être un déclencheur pour beaucoup de jeunes. Encore une fois, la perte du système scolaire ou du soutien, des activités régulières a fait en sorte que certains jeunes ou certaines jeunes ont pu se retrouver seuls à avoir plus de temps pour penser à leur corps, à leur alimentation, essayer par exemple de faire des changements, des régimes, des diètes pour perdre du poids; ils perdent le contrôle. 

Donc, il y a plusieurs facteurs qui, je pense, sont rentrés en jeu puis, effectivement, s’il y avait la perte de services en communauté, plus difficile d’accéder à nos soutiens à l’école, nos cliniques, nos activités, nos ressources communautaires, bien, l’urgence, l’hôpital devient une place où aller chercher des soins. Beaucoup de jeunes se sont présentés, effectivement, à l’hôpital avec une perte de poids importante, avec des raisons qui faisaient en sorte qu’ils devaient être hospitalisés pour pouvoir recevoir de l’aide immédiate au niveau de leurs troubles de la conduite alimentaire. Pourquoi les jeunes filles plus que les garçons? C’est quelque chose qu’on continue à essayer d’investiguer. En général, les troubles de conduite alimentaire sont plus fréquents chez les jeunes filles que chez les jeunes garçons. Il y a quand même environ 10 % des troubles alimentaires à l’adolescence qui sont chez les garçons. Donc, ce n’est pas seulement les filles, mais l’augmentation a été plus grande en période de pandémie. Est-ce que c’est les filles qui ont été plus affectées par les différents changements liés à la pandémie? C’est possible. Est-ce que c’est aussi une question d’aller chercher de l’aide ou de crier à l’aide plutôt plus quand on est fille versus garçon? Il y a beaucoup de questions qui restent à répondre et, effectivement, on a vu cette augmentation de façon plus prononcée chez les filles que chez les garçons, à mon centre, à Sainte-Justine. 

 

Alya Niang

On se rend compte également que le taux de médication a augmenté au fil du temps, notamment chez les filles, qui ont enregistré les taux les plus élevés pour les troubles d’anxiété et d’humeur. Pourquoi?

 

Dr Nicholas Chadi

Vous mentionnez une question qui est un peu parallèle à tout ça. On parle d’une augmentation des visites à l’urgence, des appels à l’aide. On a aussi vu une augmentation des taux de prescriptions des médications antidépresseurs chez les adolescents, les adolescentes. C’est très, très difficile actuellement à travers le Canada d’avoir accès à des services psychologiques, que ça soit au niveau des psychologues, des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés. C'est très difficile. Il y a de longues listes d’attente et vu qu’il y a une augmentation, pour beaucoup de jeunes, de la détresse, des symptômes anxieux et tout ça, il y a une urgence d’agir dans les jeunes, que les parents se demandent : mais qu’est-ce qu’on peut faire pour aider nos jeunes? Dans certains cas, c’est plus facile ou c’est plus accessible d’aller chez le docteur. La médication peut être prescrite sans avoir fait des séances thérapeutiques, si on veut. De dire que de prescrire un médicament c’est toujours nécessaire, non, mais parfois ça peut aider, ça peut faire partie des solutions pour aider avec les symptômes d’anxiété et de dépression, vu plusieurs circonstances : de un, l’augmentation des taux de dépression puis d’anxiété chez les jeunes et de la difficulté d’avoir accès à certains services, à certaines aides, en plus de tous les bouleversements à la routine. Ç’a pu mener, toutes ces choses ensemble, à plus de prescriptions d’antidépresseurs chez les jeunes et plus particulièrement, chez les jeunes filles. 

C’est définitivement quelque chose qui va être à surveiller dans les prochains temps, à savoir si les jeunes qui, finalement, reçoivent des prescriptions reçoivent toute l’aide qu’ils ont besoin, que ça soit au niveau de la médication, oui, mais que ça soit au niveau du soutien psychologique, du suivi, etc. 

 

Alya Niang

Les données nous montrent aussi que les enfants et les jeunes vivant dans les quartiers moins aisés affichaient des taux plus élevés de visite aux urgences et d’hospitalisation en raison de troubles de santé mentale, en général. Par contre, cette tendance était inversée dans le cas des soins hospitaliers pour les troubles de l’alimentation, dont les taux d’hospitalisation étaient plus élevés dans les quartiers les plus aisés. Juste pour comprendre, Dr Chadi, pourquoi et comment le lieu et la manière dont on vit influencent-ils la santé mentale? 

 

Dr Nicholas Chadi

C’est certain que la santé mentale, c’est quelque chose de très complexe, qui dépend de beaucoup d’éléments. Il y a des facteurs de risque qui peuvent prédisposer à des problèmes de santé mentale. Parmi ceux-là, on sait que les situations de pauvreté, avoir moins accès à de l’alimentation saine, avoir un logement qui est moins salubre, etc., avoir vécu de l’adversité, avoir été victime, par exemple, de violence et tout ça, avoir côtoyé des gens ou avoir des gens dans notre parenté qui ont des difficultés au niveau de la santé mentale ou de la consommation peuvent augmenter les taux de problématique au niveau de la santé mentale. Et ça, ça tient, peu importe qu’on soit en période de pandémie ou non. Le fait de développer ou non un trouble de santé mentale, c’est très complexe, puis ça dépend de facteurs qui sont parfois biologiques, donc qui peuvent passer de génération en génération, qui sont sociaux ou environnementaux, les influences, les habitudes de vie, etc., puis les différents challenges, les différentes difficultés qui sont rencontrées au cours de la vie. 

On a noté dans différentes études des différences entre les groupes socioéconomiques par rapport aux visites à l’urgence, par rapport à l’accès aux services. C’est sûr que l’étude dont vous me parlez montre qu’effectivement il y aurait plus de visites dans les groupes socioéconomiques plus bas. C’est des trouvailles qui ne sont pas uniformes dans toutes les études, puis effectivement pas pour toutes les conditions de santé mentale. On sait que certaines conditions de santé mentale peuvent être plus prévalentes dans certains groupes. On voit quand même beaucoup de troubles alimentaires dans des catégories socioéconomiques plus élevés également. Puis il y a une question également d’être capable d’accéder aux soins. Donc, c’est possible que quand on est dans un statut socioéconomique plus bas, on n’ait pas beaucoup d’options pour aller chercher de l’aide, puis que l’hôpital, qui est gratuit ou l’urgence qui est gratuite peut être notre première solution. Dès fois, dans les groupes socioéconomiques plus élevés, on peut avoir accès à d’autres moyens. On a peut-être de l’aide, par exemple, du privé ou d’autres ressources qui ne sont pas accessibles pour tous les Canadiens et toutes les Canadiennes. 

Je pense que la question de l’influence du statut socioéconomique sur notre santé mentale est très complexe. On sait que le fait d’être un statut socioéconomique plus bas nous met à risque de développer des troubles de santé mentale et il y a des risques que, ça, ça soit encore plus exacerbé en contexte de difficulté ou de pandémie, par exemple, où on perd nos soutiens, les choses qui font en sorte qu’on peut maintenir une bonne santé mentale. 

 

Alya Niang

Dr Chadi, en tenant compte de votre rôle au pire moment de cette pandémie, comment avez-vous aidé votre personnel, à distance ou en première ligne, à traverser une période vraiment aussi difficile? 

 

Dr Nicholas Chadi

Vous amenez un bon point. La pandémie a été difficile pour tout le monde, que ça soit du côté des patients, que ça soit du côté des soignants. Nous, on a dû augmenter énormément notre volume de consultations tant à l’hospitalisation qu’en clinique. Il a fallu prendre soin de nous, il a fallu vraiment trouver des solutions innovantes pour réussir à offrir des soins, mais aussi à ne pas passer outre nos capacités. Une des choses qu’on a réussi à faire, c’est instaurer la télémédecine, puis les soins en virtuel pour certains patients, certaines familles qui en avaient besoin. Faire des visites à distance, ça peut permettre quand même d’offrir des soins à ceux n’en ont pas besoin, puis ça peut aussi permettre un peu plus de flexibilité au niveau du personnel. Donc, il y a des avantages aussi, une fois qu’on est du côté des médecins, des professionnels de la santé, d’être capable d’offrir des soins en personne et en virtuel. Mais plus concrètement, on a dû vraiment se poser des questions, à savoir quels sont les services que nous pouvons offrir à l’hôpital et comment on doit prioriser les demandes, sachant qu’il y en a beaucoup. On a aussi fait des appels pour élargir un peu notre équipe, puis on a demandé du soutien de nos collègues qui ne sont pas nécessairement spécialisés en santé mentale, mais qui ont certainement un certain entraînement, une formation : les pédiatres généraux, les médecins de famille, pas nécessairement les spécialistes en psychiatrie ou en médecine de l’adolescence comme moi, mais qui peuvent aussi mettre la main à la pâte, puis aider à soutenir la détresse psychologique puis les difficultés de santé mentale qu’on a vues chez des jeunes durant la pandémie puis qu’on continue à voir. Malgré le fait qu’on déconfine tranquillement puis qu’on retrouve une certaine normalité, on voit quand même une utilisation des services de santé, pour des raisons de santé mentale, qui est plus grande qu’à l’habitude ou en période prépandémique. 

 

Alya Niang

Je vous demanderais : comment avez-vous réussi à garder les pieds sur terre et à protéger votre propre santé mentale? 

 

Dr Nicholas Chadi

C’est certain que c’était difficile. La crainte aussi d’avoir la Covid puis de devoir prendre du temps à l’extérieur du travail, c’était quelque chose qui était un stress tant pour moi que pour mes collègues, sachant qu’on était une équipe fragilisée par la demande accrue. Mais je pense que, chacun, on a trouvé des façons de prendre soin de nous, que ça soit de prendre du temps à l’extérieur du travail, de garder un équilibre, d’essayer de faire des choses comme de l’activité physique, de trouver des heures pour dormir puis de trouver, malgré tout, des petits plaisirs dans la vie de tous les jours, des choses qui finalement n’étaient pas annulées, n’étaient pas fermées durant la pandémie. Plus personnellement, j’ai une pratique de méditation de pleine conscience qui me permet de vraiment rester dans le moment présent, puis d’accepter, en fait, un peu ce qui se passe, que ça soit par des petites pratiques courtes de respiration ou de réflexion ou des pratiques plus actives au courant de ma journée. Ça m’a, entre autres, permis de rester centré, de rester focussé sur les challenges, mais aussi sur les bons coups puis les choses positives qui, malgré tout, pouvaient quand même se passer durant la pandémie. 

 

Alya Niang

Dr Chadi, parlons un peu de votre article Visites à l’urgence pour des raisons de santé mentale chez les adolescents avant et durant la pandémie de Covid-19. Une étude multicentrique rétrospective. Pouvez-vous nous donner un bref résumé et quelques-unes des principales conclusions de votre recherche? 

 

Dr Nicholas Chadi

Certainement. Donc, comme je l’ai mentionné, je suis pédiatre à l’Hôpital Sainte-Justine, à Montréal, qui est un des deux plus grands centres pédiatriques au Québec. On a vu au début de la pandémie qu’il semblait y avoir une diminution initialement des visites à l’urgence chez les ados pour des raisons de santé mentale et ça s’est rapidement renversé à partir du milieu de l’année 2020, quelques mois après le début de la pandémie. Après avoir discuté avec certains urgentologues qui étaient au front, si on veut, pour voir ces augmentations, des collègues et moi, on s’est dit : on aimerait avoir un décompte, avoir une idée plus claire de ce qui se passe au niveau de ces visites. Donc, on a combiné des données de l’Hôpital Sainte-Justine et du secteur anglophone, au Montreal Children’s Hospital, pour voir entre les années 2018 et 2019, qui étaient les années prépandémiques, et l’année 2020, est-ce qu’il y avait une différence au niveau de la proportion de toutes les visites à l’hôpital qui étaient liées à la santé mentale, de un. Ensuite, est-ce qu’au nombre absolu il y avait plus de visites pour la santé mentale en période postpandémique versus prépandémique? Ce qu’on a vu, c’est que certainement il y a eu une augmentation de la proportion des visites à l’urgence qui étaient liées à la santé mentale. Et puis pour une catégorie de diagnostics, en particulier les troubles alimentaires, il y a eu une augmentation, oui, de la proportion des visites, mais du nombre absolu qui était assez importante : 60 % de plus pour l’année 2020 versus la moyenne des années 2018 et 2019. Ce sont des chiffres qui ont été répétés dans d’autres études ailleurs et qui ont continué au-delà de l’année 2020. 

Cette première étude était surtout pour voir dans les premiers mois de la pandémie qu’est-ce qui se passait. Est-ce que cette impression qu’il y avait plus de demandes de services chez les ados en santé mentale était vraie? Mais on a vu que ce n’était pas seulement les troubles alimentaires qui en proportion avaient augmenté. Il y avait aussi les idées suicidaires, les enjeux anxieux, les enjeux dépressifs. On a regardé tout ça pour deux grands centres pédiatriques au Québec. 

 

Alya Niang

Donc, vous me direz sans doute que la pandémie a vraiment eu des effets néfastes chez les enfants et les jeunes. 

 

Dr Nicholas Chadi

Certainement. Je fais partie d’un groupe de chercheurs qui s’appelle L’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants, un groupe de chercheurs au Québec qui cherche spécifiquement à déterminer quels sont les impacts à court puis à moyen terme de la pandémie sur la santé, sur l’éducation, le bien-être des enfants. Donc, je continue à me pencher sur ces questions avec plusieurs autres collègues. Il y a plusieurs projets, plusieurs recherches qui sont en cours et qui démontrent, sans aucun doute, qu’il y a eu des effets sous vraiment plusieurs volets de la santé et du bien-être, l’épanouissement des enfants durant la pandémie, mais qui a aussi une opportunité de saisir la balle au bond puis d’essayer de trouver des solutions innovantes pour améliorer cette santé puis ce bien-être, dans le contexte de la pandémie, oui, mais aussi pour les années et les générations à venir. 

 

Alya Niang

Je pense que vous avez un peu touché à ma prochaine question. Y a-t-il d’autres initiatives envisagées dans ce domaine? 

 

Dr Nicholas Chadi

Oui, certainement. En fait, je peux vous dire qu’on a terminé une deuxième analyse des visites à l’urgence et celle-ci devrait être publiée très, très, très prochainement, comparant les visites allant jusqu’à 2016, mais jusqu’à l’année 2021 dans notre centre au CHU Sainte-Justine. Cette fois-ci, ce qu’on a vu, avec des analyses divisées par le sexe et par le statut socioéconomique, c’est effectivement les jeunes filles, les adolescentes étaient plus touchées au niveau des visites à l’urgence et tout ça. Donc, on va continuer à analyser avec mon groupe, mes collègues, les visites à l’urgence, comment elles évoluent. Je participe aussi à d’autres initiatives au niveau québécois pour regarder les hospitalisations. C’est quelque chose qui intéresse beaucoup à la fois les décideurs, les chercheurs et les principaux intéressés – les jeunes et les familles – à savoir, bien, qu’est-ce qui va se passer dans les prochains temps. Est-ce qu’on va finalement revenir à des niveaux prépandémiques ou est-ce qu’on va continuer à avoir des taux de difficulté au niveau de la santé mentale qui sont élevés? Il faut savoir, avec un peu de recul, que les hospitalisations, les problématiques, les diagnostics au niveau de la santé mentale chez les ados sont en augmentation depuis pas seulement la pandémie, mais depuis les dernières 10, 20 ans. Donc, il y a une augmentation dans la population des problématiques de santé mentale qui prédatent la pandémie. 

Donc, il faut voir à trouver des solutions qui sont durables. Évidemment, la pandémie a quand même permis de voir que notre système de la santé était fragile avant la pandémie, mais il a été fragilisé encore plus durant la période de pandémie. Donc, il faut penser à savoir comment on peut mieux soit investir ou modifier, améliorer, bonifier nos systèmes puis nos services pour mieux soutenir les jeunes. Donc, ce sont toutes les questions qui m’intéressent beaucoup, puis je fais partie de plusieurs groupes de chercheurs, de collaborateurs, de cliniciens qui cherchent à travailler dans cette direction. 

 

Alya Niang

Dr Chadi, on se demande si les enfants ont des troubles de santé mentale, est-ce que cela les affectera à l’âge adulte? Est-ce qu’il y a des conséquences à long terme? 

 

Dr Nicholas Chadi

C’est une question qui est très importante. Ce qu’on sait, c’est qu’une grande partie des troubles de santé mentale tendent à commencer autour de l’adolescence. Donc, très souvent, si au cours d’une vie on développe un trouble de l’humeur, un trouble anxieux, un trouble alimentaire, il y a déjà des signes avant-coureurs ou même on peut développer ces maladies durant l’adolescence. Dans certains cas, le cours va être court. On va réussir à traiter, on va réussir à guérir de notre problème, puis on pourra continuer notre vie, nous épanouir puis les choses iront bien. Dans d’autres cas, bien, ça se pourrait que la maladie se prolonge ou qu’on ait des rechutes et tout ça. Ça ne fait aucun doute pour moi que le fait d’avoir des problèmes de santé mentale durant l’adolescence, qui est une période où le cerveau se développe, où on apprend à grandir, où on apprend à nous connaître, peut avoir des effets à long terme, surtout si au niveau de notre fonctionnement c’est affecté. 

Par exemple, un exemple concret, si à cause d’une problématique de santé mentale on doit manquer l’école ou avoir des difficultés prolongées à l’école, par exemple on manque de motivation, on manque d’énergie, on a des stress trop grands qui nous empêchent de bien fonctionner, bien, ça pourrait avoir un impact sur notre parcours professionnel puis, éventuellement, possiblement sur notre bien-être, sur notre épanouissement. Donc, c’est sûr que c’est une période clé, l’adolescence, parce qu’on grandit vite puis notre cerveau crée les bases pour le reste de la vie. C’est là que notre cerveau continue son processus de maturation jusqu’à la mi-vingtaine, environ. Donc, il peut certainement y avoir des répercussions à long terme, d’où l’intérêt d’essayer de prévenir les problèmes de santé mentale, d’essayer de les guérir tôt lorsqu’on les diagnostique et d’offrir un soutien durant cette période d’adolescence et du début de l’âge adulte, pour faire en sorte qu’on puisse effectivement fonctionner à notre plein potentiel puis retrouver éventuellement un niveau optimal au niveau de notre santé. 

 

Alya Niang

On peut dire, alors, qu’une prise en charge rapide et un bon soutien durant cette phase sont des éléments clés qui peuvent mener à une guérison complète? 

 

Dr Nicholas Chadi

Je pense que oui. Je pense qu’il y a certains enfants qui vont rebondir très vite, qui vont montrer de la résilience. Puis dès fois aussi ç’a un lien avec les facteurs de protection : si on a un bon soutien de la famille, du milieu, si on a accès à certaines ressources ou si ça peut nous aider à rebondir rapidement d’une difficulté. Dans certains cas, on a beau offrir tous les traitements, ça peut se prolonger. Il y a la difficulté au niveau de la santé mentale, mais c’est sûr que si on traite rapidement puis on offre les soins quand il faut, on améliore de loin nos chances de pouvoir retrouver notre santé et notre plein fonctionnement. Donc, il y a un avantage à le faire, c’est certain. 

 

Alya Niang

Dr Chadi, quel est votre message aux médecins, aux parents ou à toute personne qui s’occupe d’un enfant? Qu’est-ce qu’ils peuvent faire pour atténuer l’impact d’une pandémie sur la santé mentale et le bien-être des enfants? Pensez-vous que les choses vont s’améliorer à mesure que la pandémie mondiale s’estompe? 

 

Dr Nicholas Chadi

En fait, la question « Est-ce que les choses vont s’améliorer? », je crois que oui, je suis porteur d’espoir. Je pense que la pandémie nous a permis de réaliser beaucoup de choses, de nous rendre compte que finalement on avait besoin de soutenir nos jeunes au niveau de leur santé mentale, puis je pense qu’il y a des solutions innovantes qui ont été mises de l’avant. L’utilisation de services en virtuel, par exemple, pour offrir des soins à des gens qui seraient plus éloignés ou qui n’auraient pas la capacité de se déplacer en personne nous amène des nouvelles possibilités. 

À mes collègues médecins ou travailleurs de la santé, je dis d’abord merci pour la main à la pâte qu’ils ont mise dans les dernières années, puis de ne pas se décourager parce que je pense que c’est un travail très important de soutenir nos jeunes et tout ça et que, oui, il y a lieu de penser qu’avec le retour aux activités puis aux choses qui nous font du bien, on peut penser à une amélioration. 

Pour les parents, pour les gens du milieu communautaire, les gens dans le milieu de l’éducation, je pense qu’un message important serait de garder l’œil ouvert pour la santé mentale, puis d’essayer de poser des questions, d’avoir une curiosité, à savoir comment vont nos jeunes, de leur demander de différentes façons comment ils se sentent, est-ce qu’on peut les aider, est-ce qu’on peut les soutenir, puis de leur offrir une présence bienveillante. J’ai mentionné un peu plus tôt des choses qui nous permettent de bien vivre en santé quand on est ado, c’est d’avoir un fonctionnement, d’avoir une routine, d’avoir un équilibre de vie. Ça peut inclure évidemment un bon sommeil, une alimentation saine, un accès à des activités de socialisation, etc. Quand on est dans un rôle de parent ou de professeur et tout ça, puis qu’on peut offrir ces choses-là à nos jeunes, bien, super. Puis quand on voit qu’il y a des difficultés, essayer de les reconnaître tôt puis d’aller chercher de l’aide autour de nous, que ça soit avec des professionnels ou avec des ressources dans la communauté, de l’aide d’autres membres de la famille, de la fratrie, etc. 

Je pense que d’être plus sensibilisé aux enjeux de la santé mentale, c’est un plus. Puis définitivement la pandémie a amené ce regard sur la santé mentale des enfants et des adolescents. Il y a eu des sonnettes d’alarme qui ont été tirées par beaucoup de gens, puis j’espère qu’on va quand même garder un petit peu cette impulsion là pour continuer à investir, à faire des efforts, faire des travaux de recherche, des améliorations dans nos services, dans nos systèmes pour qu’on puisse soutenir nos jeunes dans les années à venir. 

 

Alya Niang

Alors, pourrait-on conclure qu’un bon encadrement et bien s’impliquer dans la vie de nos enfants sur plusieurs aspects pourraient aider à éviter toutes ces problématiques? 

 

Dr Nicholas Chadi

Absolument. D’offrir un environnement qui permet de s’épanouir, très souvent ça mérite un certain cadre. Quand on est adolescent, on veut souvent tester les limites. Parfois, on va être dans l’opposition. Mais un certain cadre qui permet d’avoir les besoins nécessaires, bien, évidemment ça peut nous permettre d’avancer puis d’être en bonne santé sur tous les aspects, que ça soit santé physique ou santé mentale. 

 

Alya Niang

Un dernier mot, Dr Chadi?

 

Dr Nicholas Chadi

Bien, écoutez, on a touché à des sujets qui sont très complexes, qui ont suscité beaucoup d’émotions dans les derniers temps. Je pense qu’on a vécu, tous ensemble, comme société un stress, une pandémie qui va nous marquer probablement pour très longtemps. Mon souhait à moi, c’est qu’on va pouvoir bâtir sur ça, pouvoir développer de la résilience. Puis que s’il y a d’autres pandémies ou s’il y a d’autres événements comme ça, on va avoir appris quelque chose, puis on va se retrouver avec de meilleures ressources, un meilleur système de santé, par exemple pour y faire face. 

 

Alya Niang

Je vous remercie, Dr Chadi, d’avoir élucidé les questions relatives à la santé mentale des enfants et des jeunes. Un sujet aussi sensible et important. Vous avez apporté une contribution inestimable à ce Balado. Merci encore. 

 

Dr Nicholas Chadi

Merci beaucoup. Le plaisir pour moi également. 

 

Alya Niang

Ce que nous avons entendu est frappant et préoccupant et nous croyons tous que les enfants et les jeunes sont nos leaders de demain. Merci de nous avoir écoutés, en espérant que cela suscitera une discussion sur ce que nous pouvons et devons faire pour préserver la santé mentale de nos enfants. Revenez-nous la prochaine fois, quand nous examinerons de plus près d’autres sujets de santé intéressants. Notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein. Et un grand merci à Aila Goyette. Pour en savoir plus sur l’ICIS, veuillez consulter notre site Web www.icis.ca – ICIS pour Institut canadien d’information sur la santé. N’oubliez surtout pas de vous abonner au Balado d’information sur la santé et écoutez-le sur la plateforme de votre choix. Ici, Alya Niang. À la prochaine.